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Bienvenue Chez JurisMedicalis

20 février 2013

Circulaire « Taubira », un premier pas vers la reconnaissance de la gestation pour autrui en France ?

 

mere_porteuse_inde                                                                                                                                                                                

 

A l’heure où les revendications pour le « Mariage pour tous » se font de plus en plus fortes, à l’heure où les membres de l’Assemblée nationale s’installent dans un vaste débat à ce sujet, Madame la Garde des sceaux, Christiane Taubira a, le 25 janvier 2013, émis une circulaire, d’application immédiate, à l’attention des membres du parquet pour que ces derniers ne s’opposent pas à l’attribution de la nationalité française à tous les enfants nés à l’étranger.

 

            Si de prime abord, la circulaire ne fait que reprendre les exigences de l’article 18[1] du Code civil concernant l’attribution de la nationalité française aux enfants nés à l’étranger d’un parent français, elle a néanmoins suscité de grandes interrogations. En effet, elle élargit considérablement son champ d’application aux enfants qui seraient nés d’une convention de mère porteuse, autrement dit d’une gestation pour autrui, à l’étranger[2].

 

            Il s’agit là d’un véritable bouleversement juridique, dans la mesure où, avant cette circulaire, il était impossible d’établir un acte d’état civil pour l’enfant né à l’étranger d’une convention de mère porteuse et ce par volonté de nier la pratique de la procréation pour autrui totalement interdite en France sur le fondement des principes « fondamentaux du droit civil des personnes » et du respect de la dignité humaine.

 

            Cette règle a pourtant été discutée et même envisagée par les juges du fond qui ont estimé que : « la non-transcription des actes de naissances aurait des conséquences contraires à l’intérêt supérieur des enfants qui, au regard du droit français, se verraient priver d’actes d’état civil indiquant leur lien de filiation, y compris à l’égard de leur père biologique »[3].

            Néanmoins, la Cour de cassation a « coupé court » à toute perspective d’évolution en ce sens en déclarant le ministère public apte à entamer une procédure de nullité à la retranscription, en France, de tout acte d’état civil étranger issu d’une gestation pour autrui[4]. Pour rendre sa décision la Cour de cassation se fonde sur deux textes. Le premier, l’article 16-7 du Code civil est dit d’ordre public, car on ne peut y déroger par une convention ou par quelconque autre texte de valeur infra législative. Il interdit purement et simplement tout recours à la procréation pour autrui[5]. L’autre texte est l’article 423 du Code de procédure civile qui permet au ministère public : « d’agir d’office » en cas de trouble à l’ordre public[6].

 

            Nous voyons donc que deux impératifs s’opposent avec la parution de cette circulaire. D’un coté l’impératif du respect au droit de l’enfant qui se trouve dans une situation juridique instable et l’impératif de la sauvegarde de la dignité humaine par l’interdiction de la pratique de la gestation pour autrui.

            Au vu de ces considérations, nous pouvons nous demander si la circulaire du 25 janvier 2013 a vocation à constituer un premier pas vers la légalisation de la gestion pour autrui ou si elle tend seulement à préserver l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

            A sa seule lecture, la circulaire « Taubira » ne semble se soucier que de l’intérêt « supérieur » de l’enfant en corrigeant une défaillance de notre droit positif : le refus de l’attribution de la nationalité française aux enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui (I). Néanmoins, les perspectives envisagées par ce texte semblent négliger les nombreux principes « fondamentaux », reconnus en France, notamment la sauvegarde de la dignité humaine (II).

 

            I – La correction d’un « défaut juridique » : l’impératif de sauvegarde de l’intérêt « supérieur » de l’enfant

 

            L’objet de la circulaire, si nous adoptons une interprétation stricte du texte, n’est autre que de se soucier de la citoyenneté, de l’attribution de la nationalité française aux enfants nés à l’étranger par une convention de mère porteuse ou gestation pour autrui. En effet, il n’est nullement question en l’espèce d’établissement de la filiation. Et cette circulaire est venue combler une lacune de notre droit positif.

           

            Nous pouvons qualifier le droit actuel comme défaillant, dans la mesure où un enfant, qui n’a d’étranger que le lieu de sa naissance et ses neuf mois de gestation, soit civilement et administrativement handicapé par les seules volontés du couple.

            En somme, la jurisprudence antérieure à la circulaire faisait peser sur l’enfant les conséquences d’actes fautifs des parents.

 

            L’enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger doit être mis à l’écart comme l’était l’enfant adultérin avant la loi du 04 juillet 2005 ? Cette circulaire entreprend la même démarche que la suppression des différences entre l’enfant légitime et l’enfant adultérin. Cet enfant doit-il être privé de ses droits en tant que citoyen français, être victime d’une marginalisation perpétuelle pour des actes dont il n’est pas responsable ?  

           

            A cette question, la « circulaire Taubira » vient apporter une réponse, en estimant que cet enfant ne peut être responsable des décisions prises par ceux qui se veulent être ses parents.

            Pour cela, la circulaire reprend les conditions énoncées dans le Code civil. A savoir, il faut, selon l’article 18, que la filiation soit établie à l’égard d’au-moins un français dans le pays où la procréation pour autrui a eu lieu.

            La seconde condition est issue de l’article 47 du Code civil[7] qui énonce que l’acte d’état civil étranger doit être probant. Cela signifie donc que la naissance par gestation pour autrui doit être reconnue dans le pays où elle a eu lieu. En effet, l’acte de naissance étranger ne peut être probant, valide que si les conditions légales à l’établissement de la filiation sont respectées et donc que la gestation pour autrui est autorisée.

 

            Cela équivaut donc à dire qu’un enfant ne pourra avoir la nationalité française qu’à la condition où sa naissance par gestation pour autrui répond aux exigences légales du pays. Le but de cette condition étant d’éviter les dérives et l’exploitation du corps humain, du corps des femmes de certains pays où il serait possible de « louer » son utérus pour de l’argent.

 

            Cette circulaire adopte donc une logique pour le moins louable, car elle n’envisage que l’intérêt de l’enfant. Son intérêt à acquérir la nationalité du pays dans lequel il va s’épanouir, grandir et un jour exercer ses droits et obligations de citoyen français.

 

            II – Les perspectives de la circulaire dite « Taubira » : un impératif de sauvegarde de la dignité humaine mis à mal

 

            Malgré son avancée positive en faveur de l’intérêt de l’enfant et de son droit à être citoyen français, la circulaire du 25 janvier 2013 entrouvre un avenir beaucoup plus sombre pour des principes « fondamentaux » de notre droit, à savoir le respect du corps humain, le principe d’indisponibilité de l’état des personnes et plus encore, le respect de la dignité humaine.

 

            Même si le texte n’envisage pas de manière stricte la question de la filiation à l’égard des personnes ayant recours à une gestation pour autrui à l’étranger, le fait de considérer celle-ci comme étant créatrice de droits sur notre territoire semble ouvrir « la boite de pandore » aux dérives.

 

            Il s’agit en effet d’une avancée considérable dans notre sphère juridique interne. Jusqu’ici, l’interdiction de la gestation pour autrui était d’ordre public[8], cela signifie non seulement que la pratique est interdite en France, ce qui est expressément mentionné par l’article 16-7 du Code civil, mais également que toute tentative de dérogation ou de détournement ne pourrait produire des effets en France (notamment en ce qui concerne l’exil en vue de féconder). Ce principe était respecté au point qu’une personne née à l’étranger d’une gestation pour autrui, ne pouvait demander la nationalité française sur d’autres fondements que celui de la nationalité française de l’un de ses parents.

 

            Dorénavant, les procréations et gestations pour le compte d’autrui exercées à l’étranger trouveront une conséquence directe en France, l’attribution de la nationalité française pour l’enfant né par ce biais-là. Si un fait quelconque commis à l’étranger est créateur de droit en France, c’est que ce dernier bénéficie d’une certaine reconnaissance dans l’ordre interne, la reconnaissance d’une atteinte au principe d’indisponibilité de l’état des personnes si bien défendu par le Conseil constitutionnel. Le principe de :« sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et d’asservissement »[9] est il déjà oublié ? Cette reconnaissance semble être le point de départ légitime à une future reconnaissance de la filiation par ce moyen et donc ébranler tout notre droit civil et même une partie de notre droit positif à l’égard la dignité humaine.

 

            Alors, quid de l’application de ce texte ? En effet, quelle est la valeur de ce texte et quelles sont ses perspectives d’application ? Rappelons tout d’abord, que la jurisprudence de la Cour de cassation s’est toujours montrée hostile à cette idée de reconnaissance de la gestation pour autrui, et ce malgré les tentatives des juges du fond à sauvegarder « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

            Rappelons également que le ministère public est le garant de l’ordre public, texte pouvant être considéré clairement comme une menace pour ce dernier. En effet, l’article 16-9 du Code civil énonce que l’interdiction de la gestation pour autrui est d’ordre public afin de sauvegarder la dignité humaine.

            Quel avenir pour ce texte ? Si le ministère public doit être considéré comme étant une autorité judiciaire indépendante, combien de procureur vont passer outre les consignes du Garde des sceaux lorsque l’article 423 du Code de procédure civile les autorise à agir « pour la défense de l’ordre public » ?

 

            En tout état de cause, un recours pour excès de pouvoir a été formé, par l’opposition parlementaire, devant le Conseil d’Etat au moyen que cette circulaire constituait un moyen de « contourner » la loi française, protectrice du principe constitutionnel de « sauvegarde de la dignité humaine »[10].

            La décision des magistrats du Palais royal sera donc déterminante et se fait déjà attendre. Ils auront l’occasion de verrouiller une porte déjà fermée par la Cour de cassation ou d’ouvrir une brèche vers la reconnaissance de la gestation pour autrui en France.

 

Morgan Le Goues

Doctorant à l'Université d'Avignon et des Pays du Vaucluse

 



[1]  « Est française l’enfant, légitime ou naturel, dont l’un des parents au moins est français ».

[2]  « Vous veillerez, dans l’hypothèse où de telles demandes seraient formées [demande de nationalité pour des enfants nés de GPA à l’étranger], […], à ce qu’il soit fait droit à celles-ci ».

[3]  Cour d’appel de Paris, 1ière chambre section C, du 25 octobre 2007, RG n°06-00507.

[4]  Cour de cassation, 1ière chambre civile, du 17 décembre 2008, pourvoi n°07-20.468.

[5]  « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

[6]  « En dehors de ces cas, il peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci ».

[7]  « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui  y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

[8]  Article 16-9 du Code civil à propos de l’article 16-7 : « Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public. »

[9]  Conseil constitutionnel, décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994.

[10] Source www.lefigaro.fr du 06.02.2013 : « Circulaire Taubira : un « excès de pouvoir » selon l’UMP.

 

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